Friday, November 04, 2005

Banlieue : mèche ou étincelle ?

Stéphane Juffa
© Metula News Agency

Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde.
Albert Camus.

La gêne des media généralistes français pour décrire les péripéties de la rébellion qui dévaste leur banlieue fait peine à voir. Dans l’édition électronique du Monde, le récit des événements de la nuit dernière s’illustre particulièrement par une revue de la presse étrangère [voir], qui s’en donne d’ailleurs à cœur joie pour décrire ce que les journalistes français ne savent plus commenter. Le titre de la revue est sibyllin et ne correspond pas à son contenu : “La presse étrangère critique l’attitude de Nicolas Sarkozy”. Lorsque la Frankfurter Allgemeine Zeitung considère que “le modèle français d’intégration est entré dans la dernière phase de son existence” et que “le pays qui avait conçu le plus minutieusement la société multiculturelle (...) a perdu le contact avec la réalité”, où y a-t-il trace de cette soi-disant critique de l’action du président de l’UMP ? Peut-on errer au point de ne pas voir que c’est la politique traditionnelle du pays en matière d’intégration qui est mise sur le grill ?

Ne soyons pas dupes, les media français, sonnant à nouveau à l’unisson, tentent grossièrement de charger Sarkozy sur ce dossier ô combien préoccupant. On retrouve ici, de l’Huma à France 2, le même parti pris, unanimiste autant que ridicule, qui prévaut dans le traitement aveugle de la Controverse de Nétzarim, l’anti-américanisme primaire et la distorsion systématique du récit des épisodes de l’Intifada.

Que le Washington Post constate que “La violence est contagieuse dans des communautés d’immigrants (...) où le taux de chômage est au moins le double de la moyenne nationale”, qu’y peut donc Sarko ? En quoi est-il responsable de l’incurie irresponsable des dirigeants français à l’égard de leur minorité musulmane qui dure depuis plus de quarante ans ?

Mais cette instrumentalisation des fautes imaginaires du ministre de l’Intérieur aux fins de servir les intérêts électoralistes de la Maison-Chirac, se fait sur un problème beaucoup trop grave pour ce genre de distraction politicienne. Il y a plus bien plus pressant que l’incendie qui menace le système chiraquien, il y a la banlieue qui se consume de vraies flammes, les zones de non droit qui s’étendent, les armes à feu qui sortent des commodes pour servir contre les gendarmes et les pompiers. Et ces derniers jours, en plus d’une occasion, les forces de l’ordre ont été contraintes par leurs adversaires à évacuer des régions disputées et à en laisser le contrôle aux bandes d’émeutiers.

Le plus inquiétant pour la France, c’est que personne ne peut dire si on assiste à une flambée de violence isolée ou s’il s’agit des premiers symptômes de l’Intifada des banlieues qu’on redoute depuis longtemps.

De plus, cette éruption prend l’establishment tricolore par surprise, au moment politique où le régime a commencé sa chute et où, à force de compromissions répétées, de corruption institutionnalisée et de mise en scène médiatique de l’information, on sent bien que le pays France est au plus mal.

Alors, à l’Obs, en plus de participer au lynchage organisé de Sarkozy dans une interview sordide et totalement hors de propos d’un directeur de recherche sur la communication au CNRS [lire], on choisit de montrer les photos et les vidéos presque sans texte d’accompagnement [voir]. Les photos de quoi ? de qui ? Des “violences urbaines”, lâche-t-on avec infiniment de pudeur et de prudence.

C’est que les media français ont repris pour parler de ces évènements les directives conçues par Marius Schattner et l’AFP pour relater l’Intifada palestinienne. Les similitudes sont édifiantes, à commencer par le fait que les mêmes termes et les mêmes règles de reportage gouvernent tous les media, qu’ils soient de gauche ou de droite. Vu de l’extérieur, la France n’a plus qu’un seul media, qui, de plus, balbutie son texte. Comme le laissent entendre les confrères étrangers, dont nous faisons partie, la France de l’information et de la politique parle une langue qui lui est propre et que personne, elle exceptée, ne comprend.

“Des poubelles qui brûlent et des voitures qui flambent”, c’est la fête au passif, à l’impersonnel, comme dans la directive interne qui régit les dépêche de l’AFP… au Proche-Orient : “La tournure « un kamikaze s’est donné la mort tuant 18 personnes dans un bus bondé » est à proscrire. Il faut lui préférer « un attentat suicide a tué 18 personnes (…) dans un bus bondé »”. A Paris, où, faute de bons journalistes il y a de bons élèves, les attentats tueurs deviennent de nouvelles violences se sont produites et 400 voitures ont été incendiées...

Les émeutiers, comme chez nous, se transforment en jeunes, ce qui excuse déjà à moitié les dégâts qu’ils causent.

Est-ce la peur panique de l’islam qui dicte l’usage du passif, qui fait qu’on ne nomme pas les responsables de ces pogromes, qu’on ne montre pas leurs visages, qu’on ne fait entendre ni leurs revendications, ni leurs menaces, ni leurs “Allah Houakbar !” qui se veulent triomphants ? Ou serait-ce que l’on espère encore qu’en ne leur renvoyant pas la pierre qu’ils vous lancent, on parviendra à empêcher que le pire ne se produise ? Ce serait en tous cas très mal connaître les dynamiques qui motivent ces activistes-militants : lorsqu’ils perçoivent un ventre mou, ils s’y enfoncent jusqu’à l’avoir transpercé. C’est ce qu’ici aussi nous avons mis quinze ans et quelques milliers de morts évitables à réaliser.

Pointant comme une île au-dessus de l’océan du correctement débile, le bloc-notes d’Ivan Rioufol se détache nettement, en cette fin de semaine, des concerts de frissons des journalistes-autruches. J’ai choisi d’en partager deux extraits avec vous ; en d’autres temps, ils auraient constitué un exemple de lucidité. Au moment du media unique et des voitures qui se carbonisent, ils sonnent comme le tocsin qui menace de naufrage ceux qui refusent de l’entendre [lire] :
“Cela ne vous rappelle rien ? Oui, les émeutes en région parisienne ont des airs de guérillas palestiniennes. A Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), d’où est partie la rébellion jeudi dernier, un camion de CRS a été visé par balles. A La Courneuve, des policiers ont essuyé des tirs. Nombre d’entre eux ont été blessés par des jets de marteaux et de cocktails Molotov. Des postes de police, des écoles, des commerces ont été pris d’assaut. Des voitures ont été incendiées. Pourquoi feindre d’ignorer ces débuts d’intifada ? Quand le ministre de la Promotion de l’égalité, Azouz Begag, déplore « des discriminations dont sont victimes les jeunes de banlieues », il évoque une réalité partielle. Certes, ces insurrections révèlent des frustrations, que trente ans de subventions publiques n’ont su tempérer. Mais les manifestations dévoilent aussi, plus gravement, le refus de certains de s’intégrer. Or, la « non-stigmatisation des quartiers » rend le sujet inabordable. (…)
Qu’a-t-on vu, ces jours-ci ? Une police obligée de se défendre d’avoir voulu pourchasser deux « jeunes » qui, fuyant un contrôle d’identité, se sont tués en pénétrant dans un transformateur EDF ; Nicolas Sarkozy mis en cause pour avoir dénoncé les « voyous » et la « racaille » ; une République accusée d’avoir profané une mosquée parce qu’un jet de gaz lacrymogène est tombé, dimanche, près d’un lieu de culte. La dialectique victimaire est à l’oeuvre.” (…)


Dans un pays surpris dans une phase d’asthénie, les défenses immunitaires amoindries, la révolte des musulmans français des banlieues risque réellement de s’étendre et de devenir incirconscriptible. Elle réunit en effet les quatre éléments qui sont de nature à faire vaciller un régime :
— le nombre
— le sentiment justifié d’injustice, de misère et d’exclusion durables
— la haine, résultante des deux critères précédents, et
— le dogme fédérateur. Et peu importe, dans ces situations, qu’il soit entièrement compris ou partagé ; il peut se limiter à un cri dans lequel les révoltés se reconnaissent, un cri comme “Allah Houakbar !”

Les gens riches, heureux, disposant d’un emploi satisfaisant, d’un logement correct, ne brûlent pas les cars de touristes russes, pas plus qu’ils ne précipitent de boules de pétanque sur la tête des policiers qui avancent dans la rue.

C’était “avant”, qu’il aurait fallu se soucier de leur devenir, être moins égoïstes et surtout moins stupides, de croire que l’on peut parquer des êtres humains dans des cités éloignées des regards, sans se mêler de leur bien-être, et que les choses, par on ne sait quel prodige naturel, évolueraient d’elles-mêmes vers l’harmonie sociale et ethnique. Mais maintenant, il est trop tard pour enrayer l’amertume avec un nouveau lot de promesses intenables. Ce qui n’empêche qu’au-delà des mesures d’urgence qu’il faut prendre, il serait plus que bénéfique d’élaborer au plus vite un plan d’intégration à moyen terme qui supportât la critique.

Ce qui rend la situation délicate pour la suite, c’est que cette révolte embrasse parfaitement l’idée de l’islam hégémoniste et que cette idée, on l’a vu, décuple les forces au point de faire qu’on ignore le danger et la mort. Et puis, les beurs des banlieues ne sont pas sourds ni malvoyants et ils regardent la TV ; et comme on leur y a raconté tous les jours que le désespoir des Palestiniens rendait légitime le recours au terrorisme et qu’on leur y a dit que les égorgeurs d’otages occidentaux en Irak étaient des “résistants” exerçant leur bon droit contre les envahisseurs américains, ils se demandent sûrement pourquoi leur bon droit serait différent des leurs.

Quelqu’un connaît-il la réponse à cette interrogation ? Si ce héros existe, qu’il aille la leur proposer directement et qu’il parvienne à les convaincre eux. Parce que nous, nous sommes déjà convaincus…

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