Tuesday, February 08, 2005

Murawiec.— Bush II

Laurent Murawiec: Quelle nouvelle donne pour Bush II ?
Le Figaro, 07/02/2005.

Après son discours sur l’état de l’Union, après les élections qui ont vu son triomphe et celui de son parti pour les deux chambres du Congrès et les nominations qui retouchent les contours et les démarches de son administration, George W. Bush nous a désormais livré les clés de son second mandat. Quelles portes ouvrent-elles, en matière de politique internationale ? Les élections afghanes réussies, les élections irakiennes parachevées, l’Autorité palestinienne nettoyée du gangster qui la dirigeait, l’arc de crise arabo-islamique semble offrir une conjoncture plutôt favorable au pensionnaire reconduit de la Maison-Blanche, dûment mandaté, cette fois, par l’électorat.

Le thème central, le pivot de l’action que mènera Bush, c’est de «mettre fin à la tyrannie», de «promouvoir la liberté et la démocratie». Les sévères avertissements lancés depuis le Capitole à l’Iran des ayatollahs et à la Syrie de la dynastie des Assad en témoignent, de même que les recommandations appuyées faites à l’«allié» saoudien et à l’«ami» égyptien. Téhéran, Damas et Riyad sont, activement ou passivement, les principaux pourvoyeurs d’hommes et de moyens à l’insurrection irakienne.

Après l’éclatante victoire des élections afghanes est venu l’exemplaire scrutin irakien. Les professionnels et les experts le serinaient depuis un an : le transfert de souveraineté ne marchera pas ; les élections n’auront pas lieu ; les Irakiens s’abstiendront... On l’a déjà noté, l’électorat irakien — citoyens et non sujets d’un despote ou d’un dictateur — a défié la terreur islamo-baasiste. Une légitimité est sortie des urnes. Ecartée du pouvoir depuis 80 ans, la communauté chiite — qui n’est ni monolithique ni inféodée à l’Iran — a pris une option, non sur «le» pouvoir mais sur une partie significative du pouvoir. Les chiites, à commencer par l’ayatollah Sistani, savent qu’ils sont la cible numéro un du terrorisme. Ils ont également besoin des forces américaines, tout comme les Kurdes, trop familiers de la terreur arabo-sunnite depuis des décennies.

Ah ! ce n’est pas la Suisse. L’insurrection n’est pas terminée. Le sang continue de couler. Mais la tournure que prend le jeu montre à quel point il en valait la chandelle. Il n’y a que les benêts pour s’offusquer des laideurs qui entachent la proto-démocratie irakienne. Et les despotes sunnites qui ne peuvent décidément pas avaler d’élection libre, même chez les autres, surtout chez des Arabes, et avec une majorité chiite en surplus. D’où les raisins verts que l’on avale par barriques au Caire, à Amman, à Riyad, à Damas et autres lieux. C’est que Bush tient parole.

Revenons en arrière : le 11 novembre, le président Bush rencontre l’ancien «refuznik» héros de la lutte pour les droits de l’homme dans l’ancienne URSS, Natan Sharansky, lequel plaide inlassablement : on ne peut faire de paix durable avec les tyrans, mais avec des démocrates. Bush ce jour-là bouscule le protocole, retient longuement son invité, inclut son chef d’état-major Andrew Card, Stephen Hadley, qui va devenir conseiller à la sécurité nationale, et quelques autres. Bush a lu l’ouvrage de son hôte, The Case for Democracy, et l’a fait lire à Condoleezza Rice. Lues à la lumière de l’événement, les orientations définies depuis par le président des Etats-Unis sont évidentes : Bush a repris non seulement la formulation, mais la substance des options que défend Sharansky.

La destination fixée, quels en sont les moyens ? Au premier chef, il s’agit de l’équipe chargée de la mise en oeuvre. Première constatation : le binôme Powell-Armitage qui avait lancé le département d’Etat à l’assaut de la doctrine Bush et de sa politique moyen-orientale (prônant une ligne quasi semblable à celle de Kerry, de Joschka Fischer ou de Chirac), a dû quitter les affaires. Privé de ces «mammouths», les «arabistes» prosunnites et pro-statu quo qui dominent le département d’Etat s’efforceront certes de «capturer» Condoleezza Rice, mais se heurteront à la loyauté sans faille qui la lie au président.

Les conservateurs (néo ou pas, la distinction n’a plus grande importance) sont plutôt satisfaits de la stabilité qui prévaut au département de la Défense. Donald Rumsfeld, moins puissant que naguère, et son adjoint, Paul Wolfowitz, restent en place. Il est probable que le secrétaire quitte son job après avoir mené à bien des réformes et réorganisations importantes des forces armées. Les républicains sont par contre moins satisfaits pour l’heure de l’absence de grand «job» pour John Bolton, qui a férocement bataillé depuis quatre ans pour les thèses présidentielles. On l’attendait en numéro deux du département d’Etat, c’est Phil Zoellick, bureaucrate centriste, qui a reçu la mise. Un certain nombre de conservateurs sont néanmoins aller remplir des «desks» cruciaux, au NSC (National Security Council) et ailleurs.

En nommant un fidèle, Porter Goss, à la tête de la CIA, George W. Bush a repris en main l’agence de renseignement, qui s’était davantage signalée par la guérilla qu’elle menait contre le président que par ses succès dans la lutte contre le terrorisme. On peut douter que la centrale, diplodocus narcissique et vaniteux, soit réformable, mais en tout cas, elle ne passera plus son temps à contrecarrer la politique présidentielle. Le Department of Homeland Security, vaste confédération de bureaucraties à peine cousues ensemble, lui, a hérité d’un chef énergique, le juriste Michael Chertoff, dont la poigne a fait souffrir tant chefs mafieux que terroristes islamiques.

Où ira cette administration ? Avec le départ de Powell et l’affaiblissement relatif de Rumsfeld, le seul «poids lourd» restant est le vice-président Dick Cheney, faucon de son état, qui pèsera plus que jamais dans les décisions et dans la préparation des décisions. Mme Rice n’est ni une visionnaire ni une «conceptuelle» comme un Kissinger, mais une «gérante». Son patron, lui, a pleinement repris le flambeau reaganien, l’appliquant à la grande menace d’aujourd’hui.

Pour autant, Bush II sera-t-il d’une simplicité rectiligne ? La chose est improbable. Les pesanteurs héritées des politiques, des doctrines, des structures et des hommes du passé ne s’épuisent pas instantanément. La première Administration Bush aura marché «en crabe» vers des objectifs qui sont allés se précisant. La deuxième aura sans doute une démarche non moins zigzagante. Mais tout gouvernement américain est une coalition : les hétérogénéités en sont la rançon. Les chantiers de Bush II sont ouverts.


Laurent Murawiec: Directeur de recherche à l’Hudson Institute (Washington).

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