Tuesday, November 15, 2005

Alain Finkielkraut : «L’illégitimité de la haine»

Le philosophe Alain Finkielkraut (1) dresse un premier bilan des émeutes dans les banlieues.

Propos recueillis par Alexis Lacroix.
Le Figaro, 15/11/2005.

LE FIGARO.— Quels enseignements politiques et intellectuels tirez-vous des émeutes ?

Alain FINKIELKRAUT.— Je suis terrifié par cette violence. Terrifié, mais pas étonné. Il y avait des signes avant-coureurs : la Marseillaise conspuée lors du match France-Algérie, les agressions de lycéens pendant une manifestation contre la loi Fillon. Il y avait aussi des livres avertisseurs comme celui d’Emmanuel Brenner, Les Territoires perdus de la République, ou le rapport de juin 2004 du ministère de l’Education nationale sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans certains établissements scolaires des quartiers difficiles. On y apprenait notamment que l’enseignement de l’histoire était accusé par certains élèves et ceux qui les influencent de donner une vision judéo-chrétienne, déformée et partiale du monde. Les exemples abondent, du refus d’étudier l’édification des cathédrales ou d’entendre parler de l’existence de religions préislamiques, aux turbulences que provoque inévitablement l’évocation de la guerre d’Algérie ou du Moyen-Orient.

Certains ont été jusqu’à parler de «guerre civile». Qu’en pensez-vous ?
Il n’y a pas de guerre aujourd’hui entre les Français de souche et les autres, ni même entre la France des villes et celle des banlieues. Les premières cibles des violents sont les voisins. Et ce sont eux qui réclament une restauration de l’ordre républicain. La sympathie pour les vandales est beaucoup plus répandue chez les bobos écolos qui font du vélo à Paris que parmi les automobilistes pauvres du 9-3.

Y avait-il d’autres signes annonciateurs des émeutes ?
Voici un charmant couplet de rap : «La France est une garce, n’oublie pas de la baiser jusqu’à l’épuiser comme une salope, il faut la traiter, mec ! Moi, je pisse sur Napoléon et le général de Gaulle.»

Mais les excès de la sous-culture musicale ont-ils vraiment un lien de causalité avec ces violences ?
Si ceux qui mettent le feu aux services publics, qui lancent du haut des tours d’immeubles des boules de pétanque sur les policiers ou qui agressent les pompiers, avaient la même couleur de peau que les émeutiers de Rostock dans l’Allemagne réunifiée des années 90, l’indignation morale prévaudrait partout.

L’indignation morale prévaut quand même dans certains lieux !
Non, ce qui prévaut, c’est la compréhension, la dissolution du sentiment de l’injustifiable dans la recherche des causes. Dans l’hypothèse Rostock, politiques, intellectuels, journalistes, responsables d’associations, chercheurs en sciences sociales — tous crieraient comme un seul homme : «Le fascisme ne passera pas !» Mais comme ces lanceurs de boules et de cocktails Molotov sont des Français d’origine africaine ou nord-africaine, l’explication étouffe l’indignation ou la retourne contre le gouvernement et l’inhospitalité nationale. Au lieu d’être outragés par le scandale des écoles incendiées, on pontifie sur le désespoir des incendiaires. Au lieu d’entendre ce qu’ils disent — «Nique ta mère !», «Nique la police !», «Nique l’Etat !» —, on les écoute, c’est-à-dire que l’on convertit leurs appels à la haine en appels à l’aide et la vandalisation des établissements scolaires en demande d’éducation. A ce décryptage qui n’est que poudre aux yeux, il est urgent d’opposer une lecture littérale des événements.

Loin de la culture de l’excuse ?
Les casseurs ne réclament pas plus d’écoles, plus de crèches, plus de gymnases, plus d’autobus : ils les brûlent. Et ils s’acharnent ainsi contre les institutions et toutes les médiations, tous les détours, tous les délais qui s’interposent entre eux et les objets de leur désir. Enfants de la télécommande, ils veulent tout, tout de suite. Et ce tout, c’est la «thune», les marques vestimentaires et les «meufs». Paradoxe terminal : les ennemis de notre monde en sont aussi l’ultime caricature. Et ce qu’il faudrait pouvoir réinstaurer, c’est un autre système de valeurs, un autre rapport au temps. Mais ce pouvoir-là n’est pas au pouvoir des politiques.

La communication politique a-t-elle abdiqué devant la «vidéosphère» ?
La vulgarité sans fond des talk shows, la brutalité des jeux vidéos, l’éducation quotidienne à la simplification et à la méchanceté rigolarde par les «Guignols de l’info» — tout cela est hors de portée des hommes politiques. S’ils s’y opposaient d’ailleurs, les éditorialistes dénonceraient aussitôt une atteinte totalitaire à la liberté d’expression. Peut être le ministre de l’Intérieur — mais est-il le seul ? — a-t-il tendance à trop spectaculariser son action. Et le terme de «racaille» ne devrait pas faire partie du vocabulaire d’un responsable politique. Mais les mots manquent devant des gens qui, se sentant calomniés ou humiliés par cette épithète, réagissent en incendiant des écoles.

Mais ils sont frappés par des taux de chômage record !
Aujourd’hui où le coeur de l’humanisme ne bat plus pour l’école, mais pour ses incendiaires, nul ne semble se souvenir qu’on ne va pas en classe pour être embauché mais pour être enseigné. Le premier objectif de l’instruction, c’est l’instruction. Celle-ci, au demeurant, n’est jamais inutile. De même que la République doit reprendre ses «territoires perdus», de même la langue française doit reconquérir le parler banlieue, ce sabir simpliste, hargneux, pathétiquement hostile à la beauté et à la nuance. Ce n’est pas une condition suffisante pour obtenir un emploi, mais c’est une condition nécessaire.

Personne n’invente cependant les discriminations !
Dans cette affaire, il faut évidemment se garder de stigmatiser une population. Né polonais en France, je suis moi-même un immigré de la seconde génération, et je me sens résolument solidaire de tous les élèves noirs ou arabes qui, parce qu’ils préfèrent les diplômés aux dealers, se font persécuter, racketter, traiter de «bouffons». Ceux-là doivent être aidés ; la discrimination à l’embauche doit être inlassablement combattue ; il faut oeuvrer sans relâche à l’égalité des chances, aller chercher l’excellence dans les cités, détruire les grands ensembles, désenclaver les banlieues. Pour autant, il serait naïf de s’imaginer que ces mesures mettront fin au vandalisme.

Comment pouvez-vous en être sûr ?
La violence actuelle n’est pas une réaction à l’injustice de la République, mais un gigantesque pogrome antirépublicain.

Cette violence ne serait donc pas une riposte à l’abandon des «territoires perdus» ?
Si ces territoires étaient laissés à l’abandon, il n’y aurait ni autobus, ni crèches, ni écoles, ni gymnases à brûler. Et ce qui est proprement insupportable, c’est de décerner aux auteurs de ces exploits le titre glorieux d’«indigènes de la République». Au lieu de cela, on aurait dû décréter l’illégitimité de la haine et leur faire honte, comme on fait honte, bien qu’ils soient aussi des cas sociaux, aux supporters qui vont dans les stades pour en découdre et qui poussent des grognements de singe chaque fois qu’un joueur noir a la balle. La brûlure de la honte est le commencement de la morale. La victimisation et l’héroïsation sont une invitation à la récidive.

L’expiation des crimes du colonialisme conduit-elle à l’embrasement des banlieues ?
Non, bien sûr. Mais à vouloir apaiser la haine en disant que la France est en effet haïssable et en inscrivant ce dégoût de soi dans l’enseignement, on se dirige nécessairement vers le pire. Ces révoltés révoltants poussent jusqu’à son paroxysme la tendance contemporaine à faire de l’homme non plus un obligé, mais un ayant droit. Et si l’école elle-même les encourage, alors c’est foutu.

Est-ce le modèle français d’intégration qui est en crise ?
On parle beaucoup de la faillite du modèle républicain d’intégration. C’est absurde. L’école républicaine est morte depuis longtemps. C’est le modèle post-républicain de la communauté éducative supersympa et immergée dans le social, qui prend l’eau. Modèle, hélas, indestructible car il se nourrit de ses fiascos. A chaque échec, il réagit par la surenchère. Et c’est reparti pour un tour : au mépris de la vérité, l’école française noiera donc demain la diversité des traites négrières dans l’océan de la bien-pensance anti-occidentale. On enseignera la colonisation non comme un phénomène historique terrible et ambigu, mais comme un crime contre l’humanité. Ainsi répondra-t-on au défi de l’intégration en hâtant la désintégration nationale.


(1) Dernier ouvrage publié : Nous autres, Modernes (Ellipses).

Friday, November 04, 2005

Banlieue : mèche ou étincelle ?

Stéphane Juffa
© Metula News Agency

Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde.
Albert Camus.

La gêne des media généralistes français pour décrire les péripéties de la rébellion qui dévaste leur banlieue fait peine à voir. Dans l’édition électronique du Monde, le récit des événements de la nuit dernière s’illustre particulièrement par une revue de la presse étrangère [voir], qui s’en donne d’ailleurs à cœur joie pour décrire ce que les journalistes français ne savent plus commenter. Le titre de la revue est sibyllin et ne correspond pas à son contenu : “La presse étrangère critique l’attitude de Nicolas Sarkozy”. Lorsque la Frankfurter Allgemeine Zeitung considère que “le modèle français d’intégration est entré dans la dernière phase de son existence” et que “le pays qui avait conçu le plus minutieusement la société multiculturelle (...) a perdu le contact avec la réalité”, où y a-t-il trace de cette soi-disant critique de l’action du président de l’UMP ? Peut-on errer au point de ne pas voir que c’est la politique traditionnelle du pays en matière d’intégration qui est mise sur le grill ?

Ne soyons pas dupes, les media français, sonnant à nouveau à l’unisson, tentent grossièrement de charger Sarkozy sur ce dossier ô combien préoccupant. On retrouve ici, de l’Huma à France 2, le même parti pris, unanimiste autant que ridicule, qui prévaut dans le traitement aveugle de la Controverse de Nétzarim, l’anti-américanisme primaire et la distorsion systématique du récit des épisodes de l’Intifada.

Que le Washington Post constate que “La violence est contagieuse dans des communautés d’immigrants (...) où le taux de chômage est au moins le double de la moyenne nationale”, qu’y peut donc Sarko ? En quoi est-il responsable de l’incurie irresponsable des dirigeants français à l’égard de leur minorité musulmane qui dure depuis plus de quarante ans ?

Mais cette instrumentalisation des fautes imaginaires du ministre de l’Intérieur aux fins de servir les intérêts électoralistes de la Maison-Chirac, se fait sur un problème beaucoup trop grave pour ce genre de distraction politicienne. Il y a plus bien plus pressant que l’incendie qui menace le système chiraquien, il y a la banlieue qui se consume de vraies flammes, les zones de non droit qui s’étendent, les armes à feu qui sortent des commodes pour servir contre les gendarmes et les pompiers. Et ces derniers jours, en plus d’une occasion, les forces de l’ordre ont été contraintes par leurs adversaires à évacuer des régions disputées et à en laisser le contrôle aux bandes d’émeutiers.

Le plus inquiétant pour la France, c’est que personne ne peut dire si on assiste à une flambée de violence isolée ou s’il s’agit des premiers symptômes de l’Intifada des banlieues qu’on redoute depuis longtemps.

De plus, cette éruption prend l’establishment tricolore par surprise, au moment politique où le régime a commencé sa chute et où, à force de compromissions répétées, de corruption institutionnalisée et de mise en scène médiatique de l’information, on sent bien que le pays France est au plus mal.

Alors, à l’Obs, en plus de participer au lynchage organisé de Sarkozy dans une interview sordide et totalement hors de propos d’un directeur de recherche sur la communication au CNRS [lire], on choisit de montrer les photos et les vidéos presque sans texte d’accompagnement [voir]. Les photos de quoi ? de qui ? Des “violences urbaines”, lâche-t-on avec infiniment de pudeur et de prudence.

C’est que les media français ont repris pour parler de ces évènements les directives conçues par Marius Schattner et l’AFP pour relater l’Intifada palestinienne. Les similitudes sont édifiantes, à commencer par le fait que les mêmes termes et les mêmes règles de reportage gouvernent tous les media, qu’ils soient de gauche ou de droite. Vu de l’extérieur, la France n’a plus qu’un seul media, qui, de plus, balbutie son texte. Comme le laissent entendre les confrères étrangers, dont nous faisons partie, la France de l’information et de la politique parle une langue qui lui est propre et que personne, elle exceptée, ne comprend.

“Des poubelles qui brûlent et des voitures qui flambent”, c’est la fête au passif, à l’impersonnel, comme dans la directive interne qui régit les dépêche de l’AFP… au Proche-Orient : “La tournure « un kamikaze s’est donné la mort tuant 18 personnes dans un bus bondé » est à proscrire. Il faut lui préférer « un attentat suicide a tué 18 personnes (…) dans un bus bondé »”. A Paris, où, faute de bons journalistes il y a de bons élèves, les attentats tueurs deviennent de nouvelles violences se sont produites et 400 voitures ont été incendiées...

Les émeutiers, comme chez nous, se transforment en jeunes, ce qui excuse déjà à moitié les dégâts qu’ils causent.

Est-ce la peur panique de l’islam qui dicte l’usage du passif, qui fait qu’on ne nomme pas les responsables de ces pogromes, qu’on ne montre pas leurs visages, qu’on ne fait entendre ni leurs revendications, ni leurs menaces, ni leurs “Allah Houakbar !” qui se veulent triomphants ? Ou serait-ce que l’on espère encore qu’en ne leur renvoyant pas la pierre qu’ils vous lancent, on parviendra à empêcher que le pire ne se produise ? Ce serait en tous cas très mal connaître les dynamiques qui motivent ces activistes-militants : lorsqu’ils perçoivent un ventre mou, ils s’y enfoncent jusqu’à l’avoir transpercé. C’est ce qu’ici aussi nous avons mis quinze ans et quelques milliers de morts évitables à réaliser.

Pointant comme une île au-dessus de l’océan du correctement débile, le bloc-notes d’Ivan Rioufol se détache nettement, en cette fin de semaine, des concerts de frissons des journalistes-autruches. J’ai choisi d’en partager deux extraits avec vous ; en d’autres temps, ils auraient constitué un exemple de lucidité. Au moment du media unique et des voitures qui se carbonisent, ils sonnent comme le tocsin qui menace de naufrage ceux qui refusent de l’entendre [lire] :
“Cela ne vous rappelle rien ? Oui, les émeutes en région parisienne ont des airs de guérillas palestiniennes. A Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), d’où est partie la rébellion jeudi dernier, un camion de CRS a été visé par balles. A La Courneuve, des policiers ont essuyé des tirs. Nombre d’entre eux ont été blessés par des jets de marteaux et de cocktails Molotov. Des postes de police, des écoles, des commerces ont été pris d’assaut. Des voitures ont été incendiées. Pourquoi feindre d’ignorer ces débuts d’intifada ? Quand le ministre de la Promotion de l’égalité, Azouz Begag, déplore « des discriminations dont sont victimes les jeunes de banlieues », il évoque une réalité partielle. Certes, ces insurrections révèlent des frustrations, que trente ans de subventions publiques n’ont su tempérer. Mais les manifestations dévoilent aussi, plus gravement, le refus de certains de s’intégrer. Or, la « non-stigmatisation des quartiers » rend le sujet inabordable. (…)
Qu’a-t-on vu, ces jours-ci ? Une police obligée de se défendre d’avoir voulu pourchasser deux « jeunes » qui, fuyant un contrôle d’identité, se sont tués en pénétrant dans un transformateur EDF ; Nicolas Sarkozy mis en cause pour avoir dénoncé les « voyous » et la « racaille » ; une République accusée d’avoir profané une mosquée parce qu’un jet de gaz lacrymogène est tombé, dimanche, près d’un lieu de culte. La dialectique victimaire est à l’oeuvre.” (…)


Dans un pays surpris dans une phase d’asthénie, les défenses immunitaires amoindries, la révolte des musulmans français des banlieues risque réellement de s’étendre et de devenir incirconscriptible. Elle réunit en effet les quatre éléments qui sont de nature à faire vaciller un régime :
— le nombre
— le sentiment justifié d’injustice, de misère et d’exclusion durables
— la haine, résultante des deux critères précédents, et
— le dogme fédérateur. Et peu importe, dans ces situations, qu’il soit entièrement compris ou partagé ; il peut se limiter à un cri dans lequel les révoltés se reconnaissent, un cri comme “Allah Houakbar !”

Les gens riches, heureux, disposant d’un emploi satisfaisant, d’un logement correct, ne brûlent pas les cars de touristes russes, pas plus qu’ils ne précipitent de boules de pétanque sur la tête des policiers qui avancent dans la rue.

C’était “avant”, qu’il aurait fallu se soucier de leur devenir, être moins égoïstes et surtout moins stupides, de croire que l’on peut parquer des êtres humains dans des cités éloignées des regards, sans se mêler de leur bien-être, et que les choses, par on ne sait quel prodige naturel, évolueraient d’elles-mêmes vers l’harmonie sociale et ethnique. Mais maintenant, il est trop tard pour enrayer l’amertume avec un nouveau lot de promesses intenables. Ce qui n’empêche qu’au-delà des mesures d’urgence qu’il faut prendre, il serait plus que bénéfique d’élaborer au plus vite un plan d’intégration à moyen terme qui supportât la critique.

Ce qui rend la situation délicate pour la suite, c’est que cette révolte embrasse parfaitement l’idée de l’islam hégémoniste et que cette idée, on l’a vu, décuple les forces au point de faire qu’on ignore le danger et la mort. Et puis, les beurs des banlieues ne sont pas sourds ni malvoyants et ils regardent la TV ; et comme on leur y a raconté tous les jours que le désespoir des Palestiniens rendait légitime le recours au terrorisme et qu’on leur y a dit que les égorgeurs d’otages occidentaux en Irak étaient des “résistants” exerçant leur bon droit contre les envahisseurs américains, ils se demandent sûrement pourquoi leur bon droit serait différent des leurs.

Quelqu’un connaît-il la réponse à cette interrogation ? Si ce héros existe, qu’il aille la leur proposer directement et qu’il parvienne à les convaincre eux. Parce que nous, nous sommes déjà convaincus…

Cités : les non-dits d’une rébellion

Ivan Rioufol, Le Figaro, 04/11/2005.


Cela ne vous rappelle rien ? Oui, les émeutes en région parisienne ont des airs de guérillas palestiniennes. A Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), d’où est partie la rébellion jeudi dernier, un camion de CRS a été visé par balles. A La Courneuve, des policiers ont essuyé des tirs. Nombre d’entre eux ont été blessés par des jets de marteaux et de cocktails Molotov. Des postes de police, des écoles, des commerces ont été pris d’assaut. Des voitures ont été incendiées. Pourquoi feindre d’ignorer ces débuts d’intifada ? Quand le ministre de la Promotion de l’égalité, Azouz Begag, déplore «des discriminations dont sont victimes les jeunes de banlieues», il évoque une réalité partielle. Certes, ces insurrections révèlent des frustrations, que trente ans de subventions publiques n’ont su tempérer. Mais les manifestations dévoilent aussi, plus gravement, le refus de certains de s’intégrer. Or, la «non-stigmatisation des quartiers» rend le sujet inabordable.

Cette violence n’est pas uniquement le produit de la société, comme le récite la pensée automatique. Les immigrations asiatique, mais aussi européenne ou «pied-noir» naguère, ont également rencontré pauvreté et marginalisation, sans poser ces problèmes. Aujourd’hui, des territoires perdus de la République dessinent leurs contours, sous les encouragements des Amis du Désastre. Ils qualifient d’«incendiaire» le ministre de l’Intérieur parce qu’il veut ramener l’ordre républicain.

Qu’a-t-on vu, ces jours-ci ? Une police obligée de se défendre d’avoir voulu pourchasser deux «jeunes» qui, fuyant un contrôle d’identité, se sont tués en pénétrant dans un transformateur EDF ; Nicolas Sarkozy mis en cause pour avoir dénoncé les «voyous» et la «racaille» ; une République accusée d’avoir profané une mosquée parce qu’un jet de gaz lacrymogène est tombé, dimanche, près d’un lieu de culte. La dialectique victimaire est à l’oeuvre.

Le gouvernement est devenu l’oppresseur. On le devine, à le voir isoler Sarkozy dans son rôle répressif, prêt à s’amender. Cette repentance serait louable si elle pouvait inciter les rebelles à rejoindre la communauté nationale. Mais c’est un État soumis qui risque d’apparaître aux yeux de ceux pour qui l’islam conquérant est devenu la référence. Lundi soir, ce sont des «frères» qui ont contribué au maintien de l’ordre à Clichy en criant «Allah Akbar !». Depuis, ils ont demandé, et obtenu, le retrait de la police.

Silence autour d’une barbarie

Mardi, les parents de Zyed et Bouna, les deux adolescents électrocutés, ont été reçus à leur demande par Dominique de Villepin. Mais qui s’est ému de la barbarie d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) ? Les belles âmes, scandalisées par «la bavure d’une gravité extrême» (Mrap) constituée par le tir d’une grenade lacrymogène à proximité de la mosquée Bilal, n’ont pas eu un mot pour dénoncer le lynchage d’un père de famille dans une cité.

Les faits : Jean-Claude Irvoas, 56 ans, employé dans une société de mobilier urbain, circule jeudi dernier dans un «quartier sensible» d’Epinay, en compagnie de sa femme et de sa fille. Voulant photographier un réverbère, il sort de son véhicule. Pris à partie par des voyous qui veulent lui voler son appareil, il est roué de coups durant 90 secondes (Le Figaro de mardi), sous les yeux de sa famille. Il meurt sans reprendre connaissance.

Plutôt que de faire la morale à son collègue Nicolas Sarkozy en lui rappelant la «susceptibilité» des «quartiers où l’on souffre», le sociologue Azouz Begag aurait pu commenter ce drame. Mais ni lui ni la gauche donneuse de leçons ne sont venus dénoncer ces comportements primitifs et racistes, qui s’en prennent à «l’étranger» de passage. L’indifférence des droits-de-l’hommistes devant cette régression confirme le parti pris de leurs indignations. Elles en deviennent méprisables.

(...) En région parisienne, c’est l’idéologie islamiste qui cherche à tirer profit du chômage des cités et de leur bouillonnement. Un bras de fer est engagé avec l’État, alors même que les politiques et les médias se refusent à faire un lien entre ces tensions raciales et territoriales — qu’ils ne veulent voir qu’aux États-Unis — et une immigration massive et non désirée. Urgent d’ouvrir les yeux.

Thursday, November 03, 2005

Al cineasta que criticó el islam

Theo Van Gogh fue asesinado hoy hace un año en Amsterdam por su convicción de que la palabra libre es uno de los más grandes bienes.

Ayaan Hirsi Ali, La Vanguardia, 02/11/2005.


Querido Theo: Te mataron una fría mañana de noviembre. Una semana más tarde te incineraron y yo no estaba allí. Me hubiera gustado mucho haber podido estar presente. Quería hablarte. Te quería decir que habías sido un temerario. Que con tus planteamientos heriste y agraviaste a personas. Que recababas placer desafiando a tus seres queridos y ofendiendo a tus enemigos. Conocías las consecuencias: las redacciones rechazaban a menudo tus trabajos, la gente te ha insultado a su vez e incluso un individuo te llevó a juicio. Pero una cosa era segura: antes de la llegada del islam a Holanda era impensable que alguien en este país te hubiera matado por tus palabras.

Aquel noviembre me hubiera gustado decirles a los presentes que tú intuías muy bien la amenaza del islam.

No tanto para ti mismo como para Holanda. Te has resistido con todas tus fuerzas al férreo círculo de la corrección política que se ha tejido en Holanda. En verdad temías que aquel enfoque pusilánime precisamente impulsara la violencia. Y de manera cruel, tenías razón.

Hubiera querido decir que tu película Sumisión no había surgido del afán provocador, aunque ese deseo te acompañara también con cierta frecuencia. En este caso tus motivaciones eran diferentes. Hiciste la película para visibilizar el sufrimiento de las mujeres musulmanas. Y has puesto tu talento de director al servicio de esas mujeres. Tus seres queridos te mostraron los posibles riesgos. Pero mantuviste un punto fundamental. Y ése era tu convencimiento de que la libertad de expresión es uno de los más grandes bienes. Dijiste: “Mejor asesinado que asfixiado por la mordaza”. Quién hubiera pensado que por ello acabarías encontrando la muerte de verdad.

Esta tarde, un año después de tu muerte, estoy presente pero no voy a hablar. Mi presencia en tu conmemoración ya es bastante inquietante para las relaciones entre musulmanes y no musulmanes. Quién sabe lo que mis palabras podrían llegar a provocar.

El año pasado se comentó mucho acerca de ti y de tu asesinato. Ha sido noticia mundial. Las reacciones en los medios de comunicación no diferían gran cosa de las que generaron los atentados del 11-S en Nueva York y Washington. Muchos condenaban tu muerte en sí, como los atentados de entonces, sin embargo añadían tras la frase de repulsa un pero y mostraban a renglón seguido comprensión hacia las motivaciones de tu asesino.

1. En primer lugar, la psicología de pacotilla. Se dijo de su madre que había muerto y que eso lo había desquiciado. Como si fuera aceptable acudir a tales métodos para procesar la pérdida de su madre.

2. Luego, el complejo de pobreza. Según aquellos que la padecen, tu asesino es un muchacho pobre, sin perspectivas de futuro. Es lógico, pues, que haya caído en las garras de los yihadistas.

3. A continuación la tesis de “si hubiera...”. Si Van Gogh hubiera prestado más atención a sus propias palabras estaría vivo.

4. Curiosamente arraigó con fuerza la idea de que tu asesino era un individuo perturbado y que nada tenía que ver con el islam. Pertenece a un grupo capitalino formado por unos 50 o 100 varones jóvenes que eran objeto de vigilancia permanente.

En la opinión pública, sobre todo entre políticos y mandatarios, ha surgido una dificultad. Los hay que sostienen que la acción de Mohamed Bouyeri está intrínsicamente vinculada al islam, y que las relaciones entre musulmanes y no musulmanes sólo podrán mejorar cuando en el islam tenga lugar una reforma. Y hay asimismo quien persevera en la idea de que el islam es una religión pacifista aprisionada por algunos extremistas.

El último día de su procesamiento, tu asesino añadió una carga extra a esta discusión. Como es habitual en nuestro sistema judicial el acusado tiene la última palabra. Se dirigió a tu querida madre y le dijo: “No hay más dios que Alá y Mahoma es su profeta”. Y además: “Le diré con toda sinceridad que no solidarizo con su sufrimiento. No siento su dolor. No sé lo que significa perder un hijo. En gran medida, porque no soy mujer. Pero también porque no siento compasión. Porque pienso que es usted una infiel”. Y además: “He actuado movido por la fe”. Y además: “Y le puedo asegurar que si saliera en libertad volvería a hacer lo mismo... exactamente lo mismo. Porque la misma ley que me impulsa a cortar la cabeza a cualquiera que injurie a Alá o a su profeta es la que me obliga a no arraigarme en este país. O, en todo caso, no en un país donde la palabra libre, como la ha descrito el fiscal, se proclama públicamente”.

Con esas frases terribles, Theo querido, dejó en ridículo tu asesino a todos cuantos pensaban que tu muerte nada tenía que ver con la religión islámica. Como contraste entre tu convicción de que la palabra libre es uno de los bienes altísimos y su convicción de que la labor sagrada de Alá y la de su profeta están siempre en primer lugar. Civilización frente a barbarie. Modernidad frente a premodernidad. Ciudadanía frente a tribus. Pensamiento crítico frente a absolutismo. El individuo libre frente a la tiranía colectiva.

Comparto con tu familia una tristeza honda porque tú ya no estás. Estoy triste porque un año más tarde compruebo que la misión sagrada de Alá y de su profeta cada vez recluta más soldados. La semana pasada, sin ir más lejos, el presidente de Irán aireó a los cuatro vientos su voluntad de proseguir con el programa nuclear y eliminar del mapa a Israel.

Ya lo ves, se sigue comparando tu convicción con la de tu asesino. La lucha entre la civilización y la barbarie. Tu asesino representa la barbarie. Y tus queridos padres son el ejemplo vivo de la civilización que sufre la amenaza de esa barbarie.