Faccions palestines
Mahmoud Abbas devra reprendre le contrôle face aux grands féodaux qui dirigent la dizaine de services de sécurité
Un jeu compliqué entre les diverses factions armées de Gaza
Le Figaro, 11/01/2005.
Gaza : de notre envoyé spécial Adrien Jaulmes
La petite troupe défile au son des cornemuses. Marquant le pas à l’anglaise, le béret martial, les hommes de la Force 17 s’alignent devant le perron de la Mountada, le palais présidentiel palestinien de Gaza. Au lendemain de l’élection de Mahmoud Abbas à la succession de Yasser Arafat, les forces armées palestiniennes se préparent à la visite du nouveau raïs, prévue pour les jours à venir. Juste à côté des murs blancs de la Mountada se dressent au-dessus de la plage de Gaza les ruines de l’ancienne résidence de Yasser Arafat, qui n’ont pas été relevées depuis l’attaque des hélicoptères israéliens en 2002.
Malgré l’allure pimpante des soldats de la Force 17, le pouvoir réel de l’Autorité palestinienne est lui aussi en ruines dans la bande de Gaza. L’une des tâches les plus urgentes pour le successeur de Yasser Arafat est de reprendre le contrôle de ce vaste ghetto à ciel ouvert où s’entassent derrière les clôtures israéliennes plus d’un million et demi de Palestiniens, et où des milliers d’hommes en armes menacent à tout moment de faire capoter les minces espoirs incarnés par le nouveau président. Après huit ans de gabegie de l’Autorité palestinienne, au cours desquels ont proliféré entre 1993 et 2000 plus d’une dizaine de services de sécurité rivaux, et quatre années d’Intifada qui ont vu renaître et croître les branches islamistes de l’insurrection, le foisonnement des groupes armés, clandestins ou non, donne le vertige.
S’il veut gagner son pari de prendre les Israéliens au mot et d’obtenir d’eux des concessions en échange de la fin des opérations armées, Mahmoud Abbas doit impérativement obtenir un cessez-le-feu en pactisant avec les activistes organisés et en désarmant la rue palestinienne. Parmi les groupes organisés figurent les puissants mouvements islamiques du Hamas et du Djihad islamique, qui ont boycotté le scrutin présidentiel et continué tout au long de la campagne électorale à harceler les Israéliens de leurs roquettes Qassam et de leurs mortiers, provoquant des représailles sanglantes.
Faisant savoir qu’ils étaient prêts à négocier avec le nouveau président, les islamistes admettent sans le dire être disposés à une «trêve», au prix de contreparties telles que la fin des incursions israéliennes et des assassinats ciblés. Mais ces mouvements entendent avant tout rentrer dans le jeu politique palestinien sans se contenter d’un simple strapontin. Et pour bien signifier son intention de ne pas reconnaître un accord à l’élaboration duquel elle ne serait pas associée, la branche armée du Hamas a dès hier après-midi tiré une nouvelle roquette contre une colonie israélienne à Gaza.
Parallèlement à cette pression des islamistes, Mahmoud Abbas fait aussi face à une crise profonde au sein du Fatah. A l’inverse des mouvements islamiques, bien disciplinés, le parti de Yasser Arafat est aujourd’hui déchiré par des factions rivales alors que l’anarchie règne au sein de l’Autorité palestinienne à Gaza. Les multiples services de sécurité et les forces armées créés après les accords d’Oslo sont à la fois divisés entre partisans de Mahmoud Abbas et ses adversaires, autoproclamés héritiers de Yasser Arafat, et minés de l’intérieur par les factions clandestines de la guérilla auxquelles appartiennent secrètement leurs membres.
Au sein du Fatah, les activistes des Brigades des martyrs d’al-Aqsa se sont scindés en deux branches, dont l’une est soupçonnée d’être à l’origine de la fusillade de laquelle Mahmoud Abbas a réchappé de justesse au lendemain de la mort d’Arafat. S’y ajoutent les Aigles du Fatah, opposés à la démilitarisation annoncée par le nouveau président, les Brigades Abou Rich, elles-mêmes divisées entre les partisans d’Abbas et ses adversaires, ainsi que les Bataillons de Saladin et les Brigades des martyrs de Jénine. Ce dernier mouvement, qui n’a rien à voir avec le célèbre camp de réfugiés et avec la lutte armée, forme plutôt un groupe mafieux, spécialisé dans les enlèvements et rackets en tout genre.
Face à ces hiérarchies et allégeances souterraines au sein de son propre camp, Mahmoud Abbas ne dispose guère que d’un outil : la puissante Sécurité préventive, créée par Mohammed Dahlan au lendemain d’Oslo. Cette formation est à présent sous les ordres de Rachid Abou Shbek mais reste sous le contrôle de Mohammed Dahlan. Comme Dahlan, ancien lanceur de pierres aux allures de crooner et aux moeurs de chef de gang, figure admirée et haïe de la politique palestinienne, les membres de la Sécurité préventive sont en majorité originaires de Gaza. Et en particulier des camps de réfugiés, ce qui les oppose presque naturellement aux Palestiniens de la diaspora, revenus après Oslo, qui dirigent les autres mouvements de sécurité sur le territoire. Parlant un hébreu appris dans les prisons israéliennes après la première Intifada de 1987, les hommes de la Sécurité préventive continuent de jouir d’importants moyens, d’une hiérarchie intacte et de bonnes relations avec les Israéliens, les Egyptiens et les Occidentaux.
Même si le Hamas est décidé à ne pas laisser la Sécurité préventive lancer une nouvelle vague d’arrestations contre ses militants comme en 1996, le service de Dahlan est un atout pour Mahmoud Abbas face aux grands féodaux qui dirigent les autres services de sécurité à Gaza, et le seul susceptible d’agir sans négociations préalables. Car la plupart des questions politiques se doublent aujourd’hui à Gaza de considérations financières. Dans un territoire où sévit un chômage endémique, des dizaines de milliers de jeunes gens, privés de la possibilité de travailler en Israël, voient dans les groupes paramilitaires leur seul moyen d’assurer leur survie et celle de leur famille.
La crise profonde de cette société sans équivalent au monde, dont la densité de population s’apparente à celle de certaines villes asiatiques, vient compliquer encore la délicate mission de la nouvelle direction palestinienne.
Un jeu compliqué entre les diverses factions armées de Gaza
Le Figaro, 11/01/2005.
Gaza : de notre envoyé spécial Adrien Jaulmes
La petite troupe défile au son des cornemuses. Marquant le pas à l’anglaise, le béret martial, les hommes de la Force 17 s’alignent devant le perron de la Mountada, le palais présidentiel palestinien de Gaza. Au lendemain de l’élection de Mahmoud Abbas à la succession de Yasser Arafat, les forces armées palestiniennes se préparent à la visite du nouveau raïs, prévue pour les jours à venir. Juste à côté des murs blancs de la Mountada se dressent au-dessus de la plage de Gaza les ruines de l’ancienne résidence de Yasser Arafat, qui n’ont pas été relevées depuis l’attaque des hélicoptères israéliens en 2002.
Malgré l’allure pimpante des soldats de la Force 17, le pouvoir réel de l’Autorité palestinienne est lui aussi en ruines dans la bande de Gaza. L’une des tâches les plus urgentes pour le successeur de Yasser Arafat est de reprendre le contrôle de ce vaste ghetto à ciel ouvert où s’entassent derrière les clôtures israéliennes plus d’un million et demi de Palestiniens, et où des milliers d’hommes en armes menacent à tout moment de faire capoter les minces espoirs incarnés par le nouveau président. Après huit ans de gabegie de l’Autorité palestinienne, au cours desquels ont proliféré entre 1993 et 2000 plus d’une dizaine de services de sécurité rivaux, et quatre années d’Intifada qui ont vu renaître et croître les branches islamistes de l’insurrection, le foisonnement des groupes armés, clandestins ou non, donne le vertige.
S’il veut gagner son pari de prendre les Israéliens au mot et d’obtenir d’eux des concessions en échange de la fin des opérations armées, Mahmoud Abbas doit impérativement obtenir un cessez-le-feu en pactisant avec les activistes organisés et en désarmant la rue palestinienne. Parmi les groupes organisés figurent les puissants mouvements islamiques du Hamas et du Djihad islamique, qui ont boycotté le scrutin présidentiel et continué tout au long de la campagne électorale à harceler les Israéliens de leurs roquettes Qassam et de leurs mortiers, provoquant des représailles sanglantes.
Faisant savoir qu’ils étaient prêts à négocier avec le nouveau président, les islamistes admettent sans le dire être disposés à une «trêve», au prix de contreparties telles que la fin des incursions israéliennes et des assassinats ciblés. Mais ces mouvements entendent avant tout rentrer dans le jeu politique palestinien sans se contenter d’un simple strapontin. Et pour bien signifier son intention de ne pas reconnaître un accord à l’élaboration duquel elle ne serait pas associée, la branche armée du Hamas a dès hier après-midi tiré une nouvelle roquette contre une colonie israélienne à Gaza.
Parallèlement à cette pression des islamistes, Mahmoud Abbas fait aussi face à une crise profonde au sein du Fatah. A l’inverse des mouvements islamiques, bien disciplinés, le parti de Yasser Arafat est aujourd’hui déchiré par des factions rivales alors que l’anarchie règne au sein de l’Autorité palestinienne à Gaza. Les multiples services de sécurité et les forces armées créés après les accords d’Oslo sont à la fois divisés entre partisans de Mahmoud Abbas et ses adversaires, autoproclamés héritiers de Yasser Arafat, et minés de l’intérieur par les factions clandestines de la guérilla auxquelles appartiennent secrètement leurs membres.
Au sein du Fatah, les activistes des Brigades des martyrs d’al-Aqsa se sont scindés en deux branches, dont l’une est soupçonnée d’être à l’origine de la fusillade de laquelle Mahmoud Abbas a réchappé de justesse au lendemain de la mort d’Arafat. S’y ajoutent les Aigles du Fatah, opposés à la démilitarisation annoncée par le nouveau président, les Brigades Abou Rich, elles-mêmes divisées entre les partisans d’Abbas et ses adversaires, ainsi que les Bataillons de Saladin et les Brigades des martyrs de Jénine. Ce dernier mouvement, qui n’a rien à voir avec le célèbre camp de réfugiés et avec la lutte armée, forme plutôt un groupe mafieux, spécialisé dans les enlèvements et rackets en tout genre.
Face à ces hiérarchies et allégeances souterraines au sein de son propre camp, Mahmoud Abbas ne dispose guère que d’un outil : la puissante Sécurité préventive, créée par Mohammed Dahlan au lendemain d’Oslo. Cette formation est à présent sous les ordres de Rachid Abou Shbek mais reste sous le contrôle de Mohammed Dahlan. Comme Dahlan, ancien lanceur de pierres aux allures de crooner et aux moeurs de chef de gang, figure admirée et haïe de la politique palestinienne, les membres de la Sécurité préventive sont en majorité originaires de Gaza. Et en particulier des camps de réfugiés, ce qui les oppose presque naturellement aux Palestiniens de la diaspora, revenus après Oslo, qui dirigent les autres mouvements de sécurité sur le territoire. Parlant un hébreu appris dans les prisons israéliennes après la première Intifada de 1987, les hommes de la Sécurité préventive continuent de jouir d’importants moyens, d’une hiérarchie intacte et de bonnes relations avec les Israéliens, les Egyptiens et les Occidentaux.
Même si le Hamas est décidé à ne pas laisser la Sécurité préventive lancer une nouvelle vague d’arrestations contre ses militants comme en 1996, le service de Dahlan est un atout pour Mahmoud Abbas face aux grands féodaux qui dirigent les autres services de sécurité à Gaza, et le seul susceptible d’agir sans négociations préalables. Car la plupart des questions politiques se doublent aujourd’hui à Gaza de considérations financières. Dans un territoire où sévit un chômage endémique, des dizaines de milliers de jeunes gens, privés de la possibilité de travailler en Israël, voient dans les groupes paramilitaires leur seul moyen d’assurer leur survie et celle de leur famille.
La crise profonde de cette société sans équivalent au monde, dont la densité de population s’apparente à celle de certaines villes asiatiques, vient compliquer encore la délicate mission de la nouvelle direction palestinienne.
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